Mon Cher Claude,
C’est avec une très profonde tristesse que nous sommes tous réunis ce matin pour te rendre un dernier hommage. Tu devines l’émotion que j’ai ressentie quand ton épouse Béatrice m’a demandé de prendre ici la parole. Tu sais aussi combien je suis bouleversé de prononcer ici, une dernière fois à tes côtés, devant les tiens et tous ceux qui t’aiment et t’ont tant aimé, un message d’adieu qui, bien plus qu’un éloge tristement funèbre, est d’abord un immense témoignage d’affection et de gratitude.
Nous nous sommes rencontrés la première fois il y a un peu plus de vingt ans. A l’époque, le jeune chef de clinique que j’étais était sur le point de rejoindre le cabinet de gastroentérologie de Courlancy, ce cabinet que l’on appelait le “Cabinet Maffioli”. Nos premiers entretiens avaient lieu chez toi, le soir, dans un appartement où mon regard avait été d’emblée attiré par un piano à queue et des soldats de plomb. J’étais alors impressionné de découvrir que l’homme si engagé que tu étais, à Reims comme au plan national, gastroentérologue libéral éminent et Président de la CSMF, pouvait trouver le temps de peindre délicatement les uniformes des soldats de l’empire et de jouer quelques sonates sur ce piano magnifique… De ces premiers moments, je garderai le souvenir d’un homme posé, attentif et extrêmement bienveillant, à l’écoute du tout jeune confrère un peu inquiet que j’étais alors, avant son grand saut dans le monde libéral si peu enseigné à l’hôpital. Avec recul, je ne doute pas que nous ayons partagé à quelques années d’intervalle les mêmes questionnements. Tu avais toi même rejoint en 1978 ce cabinet fondé par Sacha Ségal. Sacha était l’un de pionniers de l’endoscopie digestive. Avec son ami Jean Marie Dubois de Montreynaud et le Professeur Charles Debray, il avait mis au point un œsophagoscope rigide à quartz. Ton arrivée au cabinet a apporté un nouveau souffle dans le domaine de l’endoscopie thérapeutique. Ta maîtrise du cathétérisme des voies biliaires était telle que ton recrutement dépassait très largement celui de la région Champagne Ardennes. Avec cette parfaite maitrise technique et une si profonde connaissance médicale, tu as eu soif de développer un cabinet médical d’exception. Combien de fois ne m’as tu pas dit que le plus important était là ? Combien de fois ne m’as tu pas expliqué qu’il fallait accueillir les meilleurs et leur donner tous les moyens de s’épanouir dans leur vie professionnelle ? Tu as ainsi, dans la continuité de Sacha Ségal et de Jean Diot, donné ses lettres de noblesse à notre cabinet mais aussi contribué à la grandeur du Groupe Courlancy Santé, aux côtés de ton ami Jean Louis Desphieux. Ta soif de savoir et ton souci permanent de le transmettre ont permis à des générations de gastroentérologues de se former à tes côtés. Tu as ainsi développé à Reims des Journées de formation en endoscopie. Ces journées ont ensuite été fusionnées avec les journées lilloises et celles de Saint Laurent du Var pour donner naissance à Vidéodigest, congrès qui sous l’impulsion de ton ami et compagnon de route Jean-François Rey est devenu le premier congrès international consacré à l’endoscopie digestive.
Parallèlement à ton engagement scientifique confirmé par de nombreuses publications, tu as été à l’origine de l’organisation de la gastroentérologie libérale. Les premiers cabinets de groupe étaient nés entre 1960 et 1970. L’endoscopie en était à ses tout débuts et les gastroentérologues libéraux s’associaient autour de plateaux techniques de radiologie. Après quelques entretiens aux Journées Francophones de Pathologie Digestive de Versailles en Mars 1980, 19 gastro-entérologues libéraux se sont retrouvés à Condrieu, en décembre 1981, pour fonder le CREGG, club de réflexion des gastro-entérologues. Le CREGG allait alors poursuivre 3 objectifs principaux : optimiser les conditions d’exercice des gastro-entérologues déjà organisés en cabinets de groupe, encourager et promouvoir les travaux intellectuels et scientifiques qui étaient l’apanage des seules équipes hospitalo-universitaires, et s’impliquer dans une activité syndicale aussi nécessaire que novatrice. Aussi surprenant que cela puisse être, il a fallu plusieurs tours de table pour tu acceptes de te dévouer à l’action syndicale, comme nous le souhaitions tous, parce que nous savions que le salut de notre dynamique professionnelle ne pouvait passer que par ton engagement. Chacun connaît ici ton parcours exceptionnel qui de la Présidence du SYNMAD t’a amené à prendre la Présidence de l’UMESPE puis pendant dix ans celle de la CSMF avant de devenir le Président du Centre National des Professions de Santé puis de l’Union Nationale des Professions Libérales, et de faire ton entrée au Conseil Economique, Social et Environnemental et d’être le premier médecin libéral à rejoindre le collège de la Haute Autorité de Santé. Il m’est difficile de témoigner de ces diverses fonctions que tu as occupées pendant de longues années. Je me souviens simplement de mes premiers pas à la CSMF puis à la FSM où ton nom est toujours synonyme d’un engagement sans faille et déterminé mais aussi d’une totale disponibilité, généreuse et charismatique, et d’une profonde humanité fondée sur l’écoute et le respect de chacun de tes confrères.
Permets moi, très cher Claude, de citer quelques réactions reçues depuis la si douloureuse annonce de ta disparition. Notre ami le Dr Bruno Richard-Molard évoque avec beaucoup de tristesse mon associé prestigieux auquel la discipline doit tant, et l’homme adorable et le grand médecin que tu as été. Le Professeur Olivier Goeau Brissonnière, Président de la Fédération des Spécialités Médicales, salue avec beaucoup de tristesse l’humaniste qu’il a connu, côtoyé, écouté et suivi. Il te demandait souvent conseil et nous a rappelé comment, avec sagesse, pragmatisme et conviction tu lui disais : « Regarde l’horizon, avance d’un pas, recule de deux sans te renier, puis avance de trois… ».
Oui, Claude, tu étais à la fois un grand médecin dont beaucoup de patients, aujourd’hui encore, en consultation, rappellent souvent les grandes qualités humaines et l’immense compétence, un scientifique qui a su impulser l’ère nouvelle de l’endoscopie digestive, mais aussi un homme de conviction et un humaniste salué par ceux qui ont eu la chance de travailler à tes côtés, et qui ressentaient en toi l’archétype de la confraternité.
Pour ma part, je garderai avec beaucoup d’émotion le souvenir de nos rencontres boulevard Péreire, chez toi à Paris, où en compagnie de Béatrice ou parfois seuls, nous échangions analyses et projets, toujours nourris du désir de contribuer au mieux au bien-être des patients et à la qualité des soins.
La vilaine maladie que tu as si longtemps affrontée n’a jamais terni ton ardeur intellectuelle à encourager l’avenir de la gastroentérologie, à souligner la qualité de la médecine libérale, à construire le devenir de la Santé en France dans le respect de toutes les professions qui s’y impliquent et dans le constant souci de veiller d’abord au respect des patients, de leur souffrance physique et psychique, et de leur nécessaire contribution à nos propres efforts.
A l’heure de te dire au revoir et de présenter mes très sincères condoléances à Béatrice et à tes proches, je tenais par ces quelques mots, et du plus profond de moi, à te dire merci.
Franck DEVULDER