Le Premier Ministre et la Ministre des solidarités et de la santé ont lancé cinq chantiers pour réformer en profondeur notre système de santé, qualifié d’à bout de souffle par Agnès Buzyn elle-même : qualité et la pertinence des soins, modes de financement et de régulation, virage numérique, formation et la qualité de vie au travail des professionnels de santé et organisation territoriale des soins.
Nous pensons indispensables la mise en œuvre de ces chantiers et nous y prendrons notre part, chacun dans le champ de ses responsabilités. Pourtant, il nous semble que si nous voulons que la réforme ait des chances d’aboutir, l’adhésion des professionnels, et singulièrement des médecins, est une condition indispensable. Or, ceux-ci réclament très largement aujourd’hui des conditions d’exercice rénovées, modernisées, qui correspondent au souhait des jeunes générations. Cela passe par une réforme en profondeur des statuts actuels des médecins, inadaptés et antagonistes.
Madame la Ministre appartient au corps des PU-PH, acronyme bien connu des acteurs de santé, moins du grand public : pour faire simple, le « corps » est celui des professeurs d’Université-praticiens hospitaliers ; il constitue « l’aristocratie » des médecins français, porteur de l’excellence dans les domaines du soin, de la recherche et de l’enseignement depuis la réforme Debré de 1958.
Les 215 000 médecins français (chiffres du Conseil de l’ordre en janvier 2016), se répartissent en trois grandes catégories, les salariés et les libéraux à effectifs quasiment égaux et un peu plus de 10 % qui ont un exercice mixte. Mais ces catégories apparemment homogènes et relativement stables dans le temps cachent une multitude de situations différentes qui varient notamment lors de la carrière : en première intention, moins d’un jeune médecin sur 8 choisit l’exercice libéral.
Constituant un corps uni pendant leurs études, les médecins subissent une étrange mutation dans leurs premières années d’exercice, en devenant soit des médecins de ville, soit des hospitaliers, c’est-à-dire soit des libéraux soit des salariés, et deviennent dès lors des ennemis quasi irréductibles, les uns ayant opté pour l’argent et le risque, les autres pour le service public et la sécurité, selon une présentation caricaturale largement et complaisamment diffusée. Certes, la réforme de Robert Debré en 1958 visait, en instituant le temps plein hospitalier, à bannir les conflits d’intérêt potentiels ou réels entre un exercice libéral primordial et une activité hospitalière secondaire mais le divorce actuel est la source de difficultés considérables :
– il engendre une quasi impossibilité à concrétiser une prise en charge des patients fondée sur des parcours et non plus sur des actes isolés. Or cette nouvelle organisation des soins demandée par les patients va de pair avec une modification de la tarification et constitue une partie essentielle de la réforme annoncée à Eaubonne.
– les indispensables coopérations entre hôpitaux et cliniques, même si leur nombre croît et battent en brèche l’idée souvent colportée d’une concurrence sans merci entre public et privé, restent entravées par des obstacles liés aux statuts différents des praticiens.
– pour exercer de la ville vers l’hôpital, les médecins doivent s’astreindre à passer des concours, alors même que l’avenir est à la certification récurrente des compétences.
– pour exercer en ville, les hospitaliers doivent changer de statut social et de régime de protection sociale.
A l’étranger, dans nombre de pays industrialisés, les médecins peuvent exercer indifféremment à la ville ou en établissement où ils ont un statut de prestataires.
Nous ne préconisons pas un grand soir statutaire, irréaliste, mais la création d’un nouveau statut mixte, en même temps salarié et en même temps libéral, qui permette l’exercice du métier quel que soit le lieu d’exercice, dans lequel s’inscriraient les nouvelles générations et, sur la base du volontariat, les médecins en exercice.
L’annonce de cette réforme, qui s’inscrit dans la même logique que celle des retraites, donnerait un signe très fort aux acteurs de santé : celui du dialogue et de la confiance.
Claude EVIN
Guy VALLANCIEN
Olivier LE PENNETIER
Jean-Paul ORTIZ
Patrick GASSER
Philippe BOUTIN
Bernard DEVULDER
Didier HAAS
Philippe DENORMANDIE
Christian ANASTASY
Benoît PERICARD